Qui es-tu ?
Je suis Rémi Georges. Mon nom c’est RALT144MI. Ma pratique principale c’est le live coding, donc la programmation en direct. J’organise aussi pas mal d’événements : musique expérimentale, scène DIY [1], live coding et algoraves.
[1] : Do It Yourself, Faire soi-même en français.
Est-ce que tu peux expliquer ces différents termes ? Qu’est-ce que c’est le live coding et une algorave ?
Le live coding, c’est la programmation directe, l’idée d’utiliser un langage textuel, du code, pour générer du son, des visuels ou contrôler des appareils en direct. C’est un terme qui englobe de nombreuses pratiques qui ont en commun ce langage textuel du code. Dans la plupart des performances, il y a l’idée de transparence : le code est projeté pour le public, donc rien n’est caché à l’audience, il n’y a pas de “boîte noire” [2], on voit ce que fait l’artiste.
C’est une pratique très liée à l’informatique libre, aux idéaux open source, tous les outils sont gratuits, ouverts et accessibles à toustes. Le manifeste TOPLAP décrit ce que doit être le live coding.
[2] : Les boites noires désignent des systèmes fermés qu’on ne peut ni ouvrir, ni comprendre, ni réparer, ni modifier (définition personnelle).
Encart 1 :
Manifeste TOPLAB
Top Lab est une organisation créé en 2004 qui vise à promouvoir le livecoding. Des collectifs locaux peuvent adhérer au “nodes” TopLap si iels souhaitent rejoindre le réseau communautaire et se reconnaissant dans leur manifeste [3] :
“Manifeste TOPLAP » [4]
Nous exigeons :
- Donnez-nous accès à l’esprit de la·e performeur·euse, à tout l’instrument humain.
- L’obscurantisme est dangereux. Montrez-nous vos écrans.
- Les programmes sont des instruments capables de se transformer eux-mêmes.
- Le programme doit être transcendé – le langage artificiel est la voie.
- Le code doit être vu autant qu’entendu, les algorithmes sous-jacents doivent être visibles autant que leur résultat visuel.
- Le live coding n’est pas à propos des outils. Les algorithmes sont des pensées. Les tronçonneuses sont des outils. Voilà pourquoi les algorithmes sont parfois plus difficiles à remarquer que les tronçonneuses.
[3] : About – TOPLAP [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 2 décembre 2025]. Disponible à l’adresse : https://blog.toplap.org/about/
[4] : ManifestoDraft – Toplap [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 2 décembre 2025]. Disponible à l’adresse : https://toplap.org/wiki/ManifestoDraft. Traduction personnelle de l’anglais, version originale en annexe.
Nous exigeons :
- La perception lucide des algorithmes.
- L’improvisation habile de l’algorithme comme démonstration expressive / impressionnante de dextérité mentale.
- Pas de sauvegarde de renfort (minidisc, DVD, ordinateur filet de sécurité).
Nous reconnaissons que :
- Le public non spécialiste n’a pas besoin de comprendre le code pour l’apprécier, pas plus qu’il n’est nécessaire de savoir jouer de la guitare pour apprécier un concert de guitare.
- Le live coding peut s’accompagner d’une démonstration impressionnante de dextérité manuelle et d’une glorification de l’interface de saisie.
- La performance implique des interactions continues, couvrant peut-être l’étendue des contrôles relatifs à l’espace paramétrique de l’œuvre d’art, ou le contenu gestuel, en particulier la franchise des détails expressifs. Si les écarts traditionnels de rythme haptique dans l’expressivité de la musique instrumentale ne sont pas approximés dans le code, pourquoi répéter le passé ? Il ne fait aucun doute que l’écriture du code et l’expression de la pensée développeront leurs propres nuances et coutumes.
- Les performances et les événements qui répondent étroitement à ces conditions du manifeste peuvent demander l’approbation et le cachat TOPLAP. “
Les performances et les événements qui répondent étroitement à ces conditions du manifeste peuvent demander l’approbation et le cachat TOPLAP. “
Certaines performances se font dans un contexte festif : il y a une dizaine d’années est née l’algorave, pour « algorithmic rave party » : de la musique algorithmique générée en direct, souvent par du live coding. Ça prend des formes très variées, entre l’expérimental et le dansant.
Tu sembles rechercher aussi l’aspect collectif, communautaire, éthique ?
Oui, la communauté du live coding est assez soudée et partage beaucoup. Quand j’ai rencontré la communauté à l’étranger, ça a toujours été agréable et accessible. Ça s’organise avec des “nodes” par des collectifs comme “Top Lap” à Karlsruhe, Düsseldorf, Londres… tous sous la même bannière, il y a beaucoup d’échanges en ligne, sur des forums.
Tu fais de la vidéo et de la musique ?
La plupart du temps, je fais surtout du son quand je fais du live coding. Ça m’arrive de faire du visuel mais c’est plutôt des visuels analogiques [5], du circuit bending vidéo. J’essaie de mixer les deux. Dans le live musical, je projette mon écran, donc l’esthétique de la typographie [7] dont l’ASCII, des éditeurs de texte [8], la présentation du code et la mise en scène sont importants. Souvent, j’utilise du glitch vidéo [9], des effets contrôlés en direct par le code.
[5] Analogique se dit de systèmes, dispositifs ou procédés qui représentent, traitent ou transmettent des données sous la forme de variations continues d’une grandeur physique. (Par opposition à numérique.) Selon le dictionnaire Larousse.
[6] Le circuit bending consiste à court-circuiter volontairement des objets de faible tension électrique, fonctionnant sur piles (jouets pour enfants munis de haut-parleur, effets pour guitare, petits synthétiseurs) de façon à créer de nouveaux générateurs de sons ou d’images. (d’après https://en.wikipedia.org/wiki/Circuit_bending)
[7] Développer ? Le texte dans l’image, la typographie engagée, Bye Bye Binary
[8] Un éditeur de texte sert à programmer, à ne pas confondre avec traitement de texte (d’après https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89diteur_de_texte) Développer ? Interfaces ?
[9] Le glitch vidéo se compose d’erreurs analogiques ou numériques, comme des artéfacts ou des bugs, par corruption de code ou de données ou manipulations d’appareils électroniques.
Encart 2 :
Comment on l’appelle ?
EDITEURS DE TEXTE

La diffusion d’éditeurs de texte rejoint la logique anti boite noire du livecoding. Les images logicielles, les interfaces sont liées au processus de création, au temps de production, aussi à quelque chose d’invisible, dont l’architecture a peu d’importance. C’est un moyen pour arriver à une fin. Diffuser des éditeurs de textes, c’est les ouvrir, les sortir d’un processus “obscur” qui serait uniquement celui des travailleur·euses informatique. Observer ou regarder des interfaces dans un nouveau contexte – performance artistique, trance avec la musique – peut éveiller la curiosité du public et ouvrir des pistes de réflexions : Quel imaginaire ? Quels biais dans ces interfaces ? Quelle liberté d’usage en avons nous ?
RALT144MI explique que la typographie, donc la forme du texte, le choix de la fonte a aussi une place importante dans ses performances. La typographie est marquée par des usages, des normes aux forts ancrages culturels. L’évolution de l’imprimerie et des technologies typographiques a influencé la création des outils de contestation ainsi que la forme et la portée des messages diffusés.
Aujourd’hui, des fonderies proposent des typographies engagées, marquées par l’expérimentation et des valeurs inclusives. Bye Bye Binary développe des caractères non binaires par oppositions aux normes sexistes de la langue française. Leurs polices sont conçues pour intégrer des signes typographiques inclusifs (points médians, double flexions, ligatures neutres). BBB ReadMe a été pensée pour répondre aux besoins spécifiques des personnes ayant un trouble cognitif impactant la lecture. [11]
Parallèlement, d’autres groupes comme Velvetyne ou BADASS LIBRE FONTS BY WOMXN partagent des polices libres : gratuites, libres d’utilisation et de modification sous certaines conditions.
[11] Fontes | Typothèque BBB [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 6 décembre 2025]. Disponible à l’adresse : https://typotheque.genderfluid.space/fr
OUVERTURE
Plus experimentales, les fontes “dingba” pictographiques sont obtenues grâce à des combinaisons de touches du clavier. Celles-ci permettent de communiquer en glyphes, en pictogrammes, en images symboliques. Les Pussy Gallore ont utilisé cette technique pour abolir l’habituelle hiérarchie langagière, empêchant tout abus du médium à d’autres fins que celle pensée par ses créatrices. [12]
“Cette contribution permet d’envisager la typographie non comme un simple support reflétant des inégalités sociales intrinsèques à sa création, mais également comme un outil permettant de les contester.” )
[12] GEOMETRY. Révolution typographique post-binaire, Des corsets sur nos lettres, typographie contre patriarcat. Dans : Révolution typographique post-binaire [en ligne]. [s. d.]. [Consulté le 3 décembre 2025]. Disponible à l’adresse : https://typo-inclusive.net
J’utilise le langage peu courant Sardine, fait par un ami, Raphaël Formand, qui a fait une thèse sur le live coding. C’est en Python, et communique avec SuperCollider qui traite l’audio, ça me permet d’avoir une interface de performance sur mesure. J’utilise uniquement du matériel libre, pas de logiciels propriétaires. J’aimerais que tout soit open source et open hardware [14] dans ma chaîne, mais retrouver un ordinateur open hardware est très cher : je fais de la récup à la place. Je me suis aussi simplifié la vie avec des mini-synthétiseurs open source et open hardware, tout est modifiable. Je fabrique parfois dans des fabs labs, sauf pour les circuits imprimés que je commande ; le reste, j’ai des amis ayant accès à des CNC, imprimantes 3D, etc. il y a une communauté à Lyon.
[14] R4LT44MI explique : Open hardware, c’est comme l’open source, mais pour le matériel. Tout le code, les schémas électroniques, tout est ouvert. On peut tout fabriquer et modifier soi-même. Ça peut s’appliquer au matériel, c’est le hardware au sens physique.
Fig. 1 : Froment Raphaël. Performance de livecoding avec Sardine pour un évènement du Cookie Collective. Source : https://sardine.raphaelforment.fr/presentation/what_is_sardine.html
Fig. 2 : Georges Rémi et Froment, Raphaël. Performance de live coding avec Sardine. © Improtech Ircam. Source : https://sardine.raphaelforment.fr/presentation/what_is_sardine.html
Musicalement, je travaille à la frontière de l’électro-acoustique [15] et de la musique pour danser, certaines choses d’IDM [16] me parlent beaucoup. Ni purement expérimental ni purement club.
En ce moment, je m’inspire du genre “Sunnity”.
[15] La musique électroacoustique est le terme définissant les musiques non exclusivement instrumentales, dont des éléments sonores sont enregistrés, transformés et reproduits sur bande magnétique ou par ordinateur. D’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_%C3%A9lectroacoustique.
[16] L’Intelligent Dance Music est un genre de musique éléctronique inspiré du breakbeat des 90’s, aussi appelé “electronica” Aphex Twin et Autechre en sont des artistes phare. D’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligent_dance_music.
Tu peux expliquer davantage ce que tu fais en vidéo ? Tu avais parlé de ton synthé, du circuit bending, etc.
Je fais peu de vidéo en soirée actuellement, mais j’en ai fait. C’était tout type de soirées, parfois pour des groupes live, du psyché ou du stoner, sinon pour de la musique électronique.
En matos – quand j’ai les épaules solides pour porter – j’ai un mixeur vidéo Panasonic V5 circuit bendé, je fais glitcher la RAM [14], ce mixeur encaisse pas mal de feedback [15], il me sert de mixeur principal. Comme sources, soit des caméras, soit mon synthétiseur vidéo Eurorack et un Mainbow fait par un artiste canadien. J’ai aussi d’autres modules (Saint-Tony, Bastien de Saint-Tony).
Musicalement, je travaille à la frontière de l’électro-acoustique [12] et de la musique pour danser, certaines choses d’IDM [13] me parlent beaucoup. Ni purement expérimental ni purement club.
Images eurorack et mainbow
Selon les cas, je peux sortir en analogique ou convertir avec une carte d’acquisition pas terrible dans mon ordinateur. J’ai une version modifiée de FFmpeg [16}, je peux modifier les codecs en direct pendant la capture. Ça me permet de faire du glitch vidéo et du datamoshing [17]. Parfois, je ne fais que du datamoshing en interne, parfois en simple surcouche à la fin. En général, le synthétiseur vidéo est ce que je peux déplacer le plus facilement. Le feedback analogique, il n’y a rien de plus joli.
Jacques Perconte -> Datamoshing
[14] Keske
[15] Le feedback vidéo, c’est quand une image est réinjecté en elle-même, créant une boucle d’auto-génération visuelle. Ce procédé, exploré notamment en art vidéo par Nam June Paik, permet de produire des images instables. https://youtu.be/mp7QVMx2zBY?si=AZXhIWOXjonD-6en
https://www.youtube.com/watch?v=7UXwhIQsYXY&list=PLfJq1pkYnZHWzyINes155Xa3mgzn5roNQ
[16] FFmpeg est un framework multimédia capable de décoder, encoder, transcoder, multiplexer, démultiplexer, diffuser, filtrer et lire à peu près tout ce que les humains et les machines ont créé. Il prend en charge les formats anciens et obscurs jusqu’aux formats les plus récents. Peu importe qu’ils aient été conçus par un comité de normalisation, la communauté ou une entreprise. Il est également très portable. D’après : https://www.ffmpeg.org/about.html
[17] Le datamoshing c’est la déstructuration d’une vidéo par la modification des repères temporels dans les paramètres d’encodage.
Quel est l’intérêt du glitch ? A-t-il une signification pour toi ?
Je trouve plus intéressant de travailler sur des choses bancales que sur des choses standardisées. Mon setup a crashé récemment en plein live, ça ne m’était jamais arrivé et j’ai trouvé ça génial. J’aime être surpris, il y a ce côté « erreur créative », que l’on revendique d’ailleurs beaucoup dans le Cookie Collectif [18]. Les plus belles performances sont parfois celles où tout crash, tout explose. Le public voit qu’on fabrique, il s’implique même dans le débug en direct. Il y a une communion pour résoudre l’erreur. C’est une esthétique qui colle à nos pratiques.
[18] Le Cookie collective regroupe des artistes numériques impliqué·es dans la création en temps réel : jeux vidéo, installation, mapping vidéo, demoscene, algorave etc. d’après https://www.cookie.paris/about/
Est-ce que c’est une réaction aux images et machines standardisées ou plus une question philosophique d’erreur ?
Réaction aux images et machines standardisées peut-être. Sinon je ne philosophe pas aussi loin. Je préfère fabriquer mes propres outils : ils ont leurs défauts. C’est ça qui me plaît. Faire du feedback en vidéo, c’est comme faire du Larsen audio [20] en noise, tu pousses la machine dans ses retranchements.
[20] L’effet Larsen est un phénomène physique de rétroaction acoustique involontaire. Il se désigne en anglais par feedback signifiant plus généralement « rétroaction, réaction, action en retour, bouclage ». Cette boucle produit un signal ondulatoire qui augmente progressivement en intensité jusqu’à atteindre les limites du matériel utilisé. D’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Larsen.
Si tu racontes une histoire, c’est quelle histoire ?
Je ne pense pas raconter une histoire au sens classique. Mais les gens voient ce que j’écris, je peux afficher des petits messages, discuter ou casser la hiérarchie artiste-spectateur, désacraliser ce qu’on est en train de faire, faire des blagues, commenter mes choix de samples, parler au public… C’est une description, un suivi en temps réel. Une méta-point de vue de l’artiste sur lui même pendant qu’iel performe. Et je suis moi-même faible, et je fais des blagues sur les samples [21] que j’ai choisi, leur histoire.
[21] Un sample est un échantillon sonore, un extrait d’un son pré existant.
Encart 3 :
Messages
R4LT144MI adresse des messages au public en glissant des phrases dans son code, pour commenter ses samples [21], rire de soi même, se montrer faible. Une vulnérabilité affirmée qui lui permet de médier sa performance, de la narrer, d’en expliquer ou justifier certains éléments. A la recherche d’un échange avec le public, qui sera s’investir dans la performance en en lisant le code, les messages et même en la debugant.
Renick Bell, livecodeur utilise également des messages textuels qui s’affichent dans son éditeur pour communiquer sur sa performance.
[21] Un sample est un échantillon sonore, un extrait d’un son pré existant.
Il explique: “J’improvise de la musique générative pendant 60 minutes en présentant simultanément des messages texte pour expliquer mon système et ma pratique, et comment l’ouverture du live coding est une réponse à notre société de plus en plus médiée par les algorithmes. Je parle par des messages texte et des enregistrements audio de l’interaction avec des agents via une interface textuelle symbolique. Le texte apparaît comme faisant partie de l’interface de ma performance musicale. Je cède le contrôle direct aux agents de mon système afin d’avoir plus de liberté pour parler avec le public pendant que je joue. [22]”
Ici R4LT144MI révèle le processus, intervient sur l’infrastructure symbolique du langage, il rend visible, détourne et se réapproprie les outils. Ici, le choix des images : interface, code, fonte constitue un langage de liberté, qui casse volontairement la hierarchie habituelle (outil-rendu, artiste-public).
Ouverture

[22] Traduction personnelle de : I improvise generative music for 60 minutes while simultaneously presenting text messages to explain my system and practice and how the openness of live coding is a response to our increasingly algorithmically-mediated society. I talk through text messages and manipulated audio about interaction with agents through a symbolic text interface. The text appears as part of the interface to my musical performance. I relinquish direct control to the agents in my system so that I have more freedom to talk with the audience while performing.
Tu as déjà poussé cette logique participative jusqu’à donner un PC ou des contrôleurs au public ?
Oui, à une époque, je mettais un gros contrôleur style moulin à poivre dans le public, où les gens pouvaient modifier des trucs dans mon son. C’est beaucoup de préparation pour des résultats pas incroyables, donc je ne l’ai pas refait si souvent. Parfois je bricole des choses, mais ce n’est jamais devenu une pratique pérenne. Mais j’aime l’idée.
Dans les soirées du Cookie Collectif, on propose souvent des jeux vidéo expérimentaux faits avec des contrôleurs alternatifs pendant les concerts. Quelqu’un qui manipule ces installations participe à la perf et fait ses visuels, même dans son coin.
Ça t’arrive de faire du live coding dans une fête où il n’y a pas que du live coding ? Comment c’est perçu ?
Oui, ça m’arrive, bientôt, je joue dans un contexte “gros club” au Sucre à Lyon pour leur festival, avec Adel Fort aux visuels, seuls à faire ça sur tout le festival. La dernière fois, la musique a été bien reçue, ils ne s’attendaient pas à ce que ce soit aussi dansant. C’est sûrement pour ça qu’on m’a réinvité. Après, je pense que ça passe un peu partout. Par exemple dans des contextes moins institutionnalisés, je fais les marathons noise, j’y suis la seule personne avec un ordi, c’est bien reçu aussi dans ce contexte expérimental. Après j’adapte mes lives : plus ou moins experimental ou dansant en fonction du contexte.
Tu vois une véritable dimension politique au fait d’intégrer ces démarches dans le club ?
Peut-être, mais Le Sucre c’est une grosse machine, possédée par Artifarti qui gère Les Nuits Sonores. Le programmateur a peut-être aimé sincèrement, mais il n’adhère pas forcément à toutes les valeurs du live coding. Je reste prudent, je fais en sorte de n’être ni instrumentalisé ni utilisé comme caution.
Par exemple, les algoraves que j’organise sont sans subvention, sans financement. Tout le monde est logé, nourri, défrayé et les bénéfices sont partagés. S’il y a de l’argent, tout le monde est payé également. On préfère rester autonomes plutôt que de devoir justifier pourquoi certains toucheraient plus que d’autres.
Organiser des événements, c’est super politique, comme la pratique elle-même. Il faut être cohérent.
https://mobilizon.fr/events/ace77257-742f-4d7d-819a-4bc0b1456ea4
À quoi ressemblerait ta fête ou ta scénographie de rêve ?
La prérogative, c’est que la fête soit safe et que tout le monde s’y sente bien. Je ne suis pas amateur des clubs, ce ne sont pas des espaces où je me sens à l’aise, même si j’aime y jouer. Auparavant j’organisais beaucoup de free parties dans le Sud-Est, pour moi la fête a toujours été un espace libre.
Je préfère clairement les valeurs éthiques et morales de la free party aux clubs, même si tout n’est pas idéal. Avec la communauté on continue d’organiser des fêtes dehors, autour de Lyon.
L’idéal serait une fête libre, hors des logiques systémiques et d’oppression, sans recherche de profit. Peut-être que ça existe dans certains clubs associatifs à l’étranger, mais je n’en connais pas en France. Je me reconnais dans les événements DIY, où l’organisation, les aspects humains et financiers sont transparents. Je ne conçois pas d’être dans le système des clubs qui payent très cher des têtes d’affiche tout en sous-payant les autres ou exploitant stagiaires.
Pour toi, le live coding ou la scène DIY doit rester alternative ?
Je pense que oui, ça restera toujours un peu alternatif : ça n’intéressera jamais le grand public. Mais ça me va, je fais ça pour moi, parce que ça me plaît. Peut-être que ça sera récupéré un jour, mais ce n’est pas mon but.
Récemment, Renik Bell a joué aux Nuits Sonores ; il a parlé de la scène sans la survendre ni fantasmer dessus. [23] C’est une pratique parmi d’autres, pour certains et pas d’autres. Il y a une petite communauté européenne, on se connaît tous, moins de 300 personnes en live coding actif en Europe.
Certes, ça devient plus tendance, notamment sur TikTok avec des gens comme DJ Dave, mais ça reste confidentiel. Certains utilisent le live coding ponctuellement, d’autres en font une pratique centrale.



